A l’approche imminente des régionales présidentielles, avoir une petite matrice d’analyse sur la communication politique peut être divertissant, voir utile pour décoder les stratégies des impétrants. Vous aurez déjà noté la diversion, la victimisation utilisées par François Fillon dans la fameuse affaire dite du #pénélopegate.
Aidé de Florence Vilcanet, Sun Tzu et quelques autres voici un florilège des stratagèmes utilisés par les prétendants en lice.
Quand il s’agit de stratégie de conquête électorale, tout le monde connaît l’Art de la Guerre, les 36 stratagèmes ou les 37 stratagèmes de Schopenhauer dans « l’art d’avoir toujours raison ». D’autres ont lu Carl Von Clausewitz ou encore Machiavel, un peu moins le traité des 5 roues de Miyamoto Musashi. Autant de viatiques indispensables pour ceux pour qui polémologie et politique affichent une inquiétante similarité. A ces classiques, je vous propose de rajouter les stratagèmes utilisés par les Spin Doctors et appliqués à leurs poulains, tels que relatés par Florence Vielcanet dans son livre La fabrique de présidents.
Stratagème 1 : Être opportuniste
« Quand on communique, la première règle est de tirer parti de l’actualité » affirme Philippe Lenschener (agence Valioo).
Et si possible en tirer parti pour faire passer des idées vers une frange de l’électorat bien précise. Démonstration.
#Sarkozy : l’#Europe ne peut pas être le seul continent du monde qui ne défende pas ses frontières – #migrants https://t.co/KRDvShH63y
& mdash; RT France (@RTenfrancais) 29 Octobre 2015
//platform.twitter.com/widgets.jsL’idée est bien de faire feu de tout bois et de faire du #newshacking pour tenter de créer un effet de meute dans le bruit ambiant et si possible de mettre, si vous êtes dans l’opposition, un sujet sur le devant de la scène et forcer le pouvoir en place à réagir. Cette tactique doit intervenir en deuxième rideau. Phase 1 : mesurer l’effet potentiel de l’actualité dans l’opinion Phase 2 : faire une déclaration en attaquant l’incurie du gouvernement ou en exposant une partie de son programme. Idéalement les 2.
Stratagème 2 : S’approprier les arguments de l’adversaire
Mon préféré. Comme le souligne Florence Vielcanet, « il s’agit de priver le camp opposé de ses mythes, représentations, concepts et idées… sans y sacrifier son noyau dur ». Dans l’exemple précédent Nicolas Sarkozy en évoquant l’espace Schengen va clairement puiser du côté du Front National pour faire sien l’antienne frontiste. Une manière de draguer une partie de son électorat. Rien de nouveau de ce côté-là. A l’identique Manuel Valls a joué sur des arguments rarement entendus à gauche sur la remise à plat des 35h, sur l’autonomie plus grande laissée à la Police ou encore sur l’instauration des quotas sur l’immigration en fonction des besoins économiques du pays ou encore son amour pour les entreprises déclamé au Medef. D’ailleurs, le gouvernement avec les diverses lois favorables à l’entreprise (CICE, Loi Macron, la pseudo simplification administrative, la refonte probable du Code du travail…) coupe l’herbe sous le pied de la droite qui aura du mal à argumenter sur ce terrain (et qui d’ailleurs ne le fait pas).
Stratagème 3 Organiser des primaires
Selon l’auteur, les primaires « donnent lieu à une formidable campagne de publicité. Elles sont d’autant plus utiles à la mobilisation que le risque d’abstention est élevé ». A contrario le risque des primaires réside aussi dans la publicité faite aux dissensions en interne entre candidats censément du même camp. Les primaires ont aussi leurs dérivés avec des effets finals recherchés identiques, faire de la publicité. Parmi ces dérivés, on peut citer l’élection du président d’un parti ou encore un référendum. Au regard de l’histoire récente avec l’élection du Président de l’UMP et du référendum organisé par les socialistes, deux pantalonnades réelles, ces pistes sont sans nul doute à déconseiller.
#RéferendumPS, la dernière fois qu ‘on s ‘était autant marré, c ‘était avec #UMP et sa #cocoe je crois… pic.twitter.com/rNbvQIihXP & mdash; Bembelly (@bembelly) 17 Octobre 2015
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Du mal à s ‘endormir ? Référendum sur l ‘unité de la gauche : pour quoi faire ? #référendum #PS https://t.co/IFBk7iFWsf
& mdash; Weekly (@WeeklyRedaction) 2 Novembre 2015
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Stratagème 4 : Laisser fuiter des informations
Chacun se souvient de l’affaire de la rue du Cirque et de notre Président en Scooter. Fuite ou pas fuite ? Quoi qu’il en soit, chaque politique sait depuis longtemps que la vie privée est une vue de l’esprit. Dès qu’un politique est hors de son domicile, il est de facto en représentation. Dès lors, autant organiser savamment les fuites en conviant opportunément (et discrètement) des photographes pour préofficialiser une relation. Souvenons-nous de Nicolas Sarkozy et Carla Bruni à Eurodisney. Une officialisation qui doit intervenir lorsque trop de personnes (autrement dit les salons parisiens et diners en ville) commencent à être au courant et que l’information pourrait réellement fuiter sans que le politique n’ait eu le temps d’anticiper l’annonce. A l’ère des réseaux sociaux et autres mobiles aux enregistrements furtifs, la technologie joue contre les politiques.
Stratagème 5 : prévoir des petites phrases qui font mouche
Le royaume des communicants, tribuns et des politiques au sens de l’humour. La petite phrase a plusieurs vocations. La première est d’être reprise par les médias. D’ailleurs vous noterez, non sans un certain étonnement, que tous les médias extirperont quasi systématiquement la même phrase ou la même idée d’un discours généralement assez long, entre 30 minutes et 2H. Soit la petite phrase est très efficace, soit les journalistes ont été bien briefés. Je vous laisse choisir. La seconde vocation et Graal de la petite phrase est de devenir slogan. Souvenez-vous de la « fracture sociale » ou « travaillez plus pour gagner plus ». Deux slogans issus de discours, mais bien entendu muris en amont (ou récupérées en aval) par les communicants pour devenir programmatiques ou encore des néologismes à l’instar du fameux « UMPS » de Marine le Pen. Enfin, autre vocation de ces petites phrases est dans la même logique de faire le buzz, dans l’environnement médiatique, mais aussi dans les réseaux sociaux avec ce Graal qu’est aussi à la marge le prix « Press club, humour et politique » remporté en 2015 par Nicolas Sarkozy avec une phrase moyenne, mais réellement méchante. Notons le prix spécial hors catégorie remis à François Hollande pour l’ensemble de son œuvre qui il est vrai est assez irrésistible : “Il n’y a rien de plus terrible pour un soldat déjà anonyme que de mourir inconnu” ; “Je demande aux Français de ne pas aller dans les zones à risques parce que c’est dangereux” ; “Il y a ceux qui n’attendent plus rien ; je fais en sorte de leur apporter ce qu’ils attendent”, “Il y a aussi le défi de la mondialisation, parce que le monde n’est pas facile, et parfois, il n’est pas gentil.”. Oui, cela peut être involontaire et contre-productif…
Vous avez envie de rire ? #Humour #Politique Petites phrases primées http://t.co/bTvFQakd1Z via @LExpress et sur http://t.co/BxplUAiY0Y & mdash; Christine Laymard (@ChrisLaym) 27 Juillet 2015
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On tient le prochain prix de l ‘humour politique ! https://t.co/VBBPyBerNL
& mdash; Denis_Baupin (@Denis_Baupin) 20 Septembre 2015
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Il faut ici rendre hommage à tous les écrivains et communicants de l’ombre et à leurs heures passées à ciseler le bon mot ou la juste expression qui fera mouche. J’attends avec fébrilité les premières saillies de Guillaume Bachelay, nouveau sniper de François Hollande, responsable de « guimauve le conquérant » ou le fameux « quand il y a un flou, c’est qu’il y a un loup » entre autres sublime saillies. (in l’Express du 28 octobre).
Stratagème 6 : Créer le Buzz
Faut-il vraiment développer ? Sans doute, car comme les autres les hommes politiques pour créer le buzz facilement tendent à choisir la voie du clash, pour le dire en clair, d’une certaine forme de violence. Tout comme la presse avec des couvertures-chocs, populistes et démagogiques, les politiques choisiront des comportements parfois limites pour que l’on parle d’eux. A l’image de Jean-Luc Mélenchon cité par l’auteur,, qui en vouant les journalistes et médias aux gémonies, voire en es maltraitant réellement, en devient un bon client. D’ailleurs, le nombre de conférence réalisée par Mélenchon à Sciences-po atteste du bien fondé de cette stratégie.
Une stratégie aussi utilisée par la CGT pour tenter de regagner des parts de voix. Avec là aussi plus ou moins de bonheur.
Stratagème 7 : Storytelling
Comme son nom l’indique. Depuis que les communicants ont découvert l’efficacité de cet antique procédé, ils ont une légère tendance à en abuser. L’idée-force est bien de « fabriquer des histoires à formater les esprits » selon le sous-titre du livre de Christian Salmon « Storytelling ». Depuis, on ne compte plus les séquences avec un arc narratif précis destiné à mettre en lumière la destinée d’un politique (le héros) face aux affres de ce monde (les 35 h, la guerre, les migrants, la pollution, bref l’antagoniste), mais soutenu par sa famille (l’adjuvant en termes technique) et mandaté par le citoyen (à la fois destinateurs et destinataires) pour améliorer le quotidien (la quête). Le meilleur exemple est sans conteste celui de John F Kennedy grand storyteller devant l’éternel, depuis ses mises en scène familiales jusqu’aux photos en pleine crise de la Baie des Cochons – une mise en scène reprise par Barack Obama, photographié en salle de crise (situation room) lors de l’élimination de Ben Laden.
Les multiples mises en scènes de la vie privée des politiques ou encore de mises en situation improbables à l’instar de François Hollande chez Lucette relève bien de ce procédé avec plus ou moins de bonheur. Avec dans le dernier cas un effet boomerang très violent tant la mise en scène était mal ficelée. Facile à décrypter par tout un chacun, le storytelling doit être manié avec précaution pour être efficace.
Stratagème 8 : se taire pour intriguer
Baptisé aussi la stratégie du ténébreux, le silence est d’or et laisse planer le mystère, qui agit dès lors comme support projectif pour laisser travailler l’imaginaire des publics. Comme le rappelle Florence Vielcanet, cette stratégie du silence a été largement utilisée par François Mitterand pour cultiver sa stature présidentielle, tout comme Nicolas Sarkozy en 2011 en amont de sa candidature aux présidentielles. En vous taisant, vous laissez travailler vos parties prenantes et leurs spéculations, si possibles reprises par les médias. Une manière simple d’occuper l’espace sans avoir l’air d’y toucher. Autre avantage de cette stratégie, le manque d’aspérité ainsi créé vous donne un avantage concurrentiel évident en vous permettant de dicter le timing de la prise de parole. En dernier ressort, seuls ceux qui parlent ou agissent prêtent le flanc à la critique. Ne rien faire est une tactique positive quand elle est utilisée à bon escient et suite ou en amont de l’action.
Stratagème 9 : faire parler les autres à sa place
Dans la foulée du stratagème 8, faire parler vos proches vous permet de distiller finement des messages au sein de l’opinion tout en ayant l’air de ne pas y toucher. Cette tactique des relais d’opinion est largement utilisée par les politiques de tout bord pour véhiculer tantôt la pensée du candidat, tantôt pour lancer des ballons-sondes à l’instar des sorties d’Emmanuel Macron et ses sorties libérales, récemment sur le statut des fonctionnaires à réviser, ballon-sonde pour évaluer la réaction des médias et de l’opinion (d’ailleurs favorable à une modification du statut). Que ce soit des tribunes, des petites phrases, des éléments de langage, des sorties improvisées, vos amis pourront, pour peu que vous leur confiiez une grille d’analyse et des éléments de langage, parler pour vous. L’avantage évident de cette tactique est qu’en cas de dérapage ou il sera facile au mandataire de se défausser et de recadrer au choix son ministre ou son ex-ami.
Stratagème 10 : convoquer la grande histoire
Quand Nicolas Sarkozy cite Léon Blum et Jean Jaurès dans le fameux discours de Poitiers (écrit par Henri Guaino), il utilise à la fois le stratagème 2 en convoquant des grandes figures de la gauche, mais il en appelle aussi à des figures emblématiques de l’histoire politique française pour étayer son discours social libéral. Ce faisant, le candidat s’inscrit dans la lignée de ses prestigieux aînés et s’en voit ainsi valorisé en tant qu’héritier.
Stratagème 11 : faire tester tout ce qui va sortir de la bouche du candidat
Comme je l’ai suggéré dans un précédent post, les politiques sont des marques comme les autres. A ce titre, ils appliquent les lois du marketing et chaque idée, chaque slogan, chaque discours ou propos sera testé en amont par un panel représentatif. Tout comme un produit ou une marque, chaque remarque de ce panel sera disséquée par les communicants présents derrière la vitre et les perceptions analysées au travers d’une matrice définie en amont. L’avantage de ce test est, entre autres, de détecter des thèmes auxquels le candidat n’avait pas pensé. A ces études quali, s’ajoutent aussi les sondages, désormais d’une facilité déconcertante quand ils sont opérés par Internet. Dans les deux cas, pour en avoir réalisé quelques-uns, être confronté à la réalité est toujours un choc, tant il y a loin de la coupe aux lèvres entre la visée d’un candidat et l’image qu’il se fait de lui et la perception par le lambda. C’est souvent une blessure narcissique forte si les propos et résultats ne sont pas filtrés en amont par les pros.
Stratagème 12 : devancer les critiques
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Aller à la guerre sans être préparé est une faute. Un des rôles du communicants est de prévoir en amont toutes les attaques que le candidat pourrait subir et préparer un argumentaire pour y répondre, voire les anticiper. Avoir une sorte de « FAQ » en amont permet de désamorcer les attaques de la partie adverse tout en la déstabilisant.
Stratagème 13 : lancer un ballon d’essai
Couplé au stratagème 9, lancer le ballon d’essai est un procédé largement utilisé par tous les gouvernants. Que ce soit sur l’âge de la retraite, les impôts, les fonctionnaires, l’islam en France ou autre, l’idée est de laisser fuiter une information sur une éventuelle réforme et d’observer la réaction de l’opinion au travers de sondages et autres études d’opinion. Ces études permettront à la fois d’ajuster les textes éventuels quand ils sont en préparation, ou de faire passer l’idée que le gouvernement s’occupe de la question.
Stratagème 14 : ne pas oublier la moindre cible
Quand Manuel Valls se pose en chantre de la sécurité et comme défenseur des entreprises, il vise très clairement une frange de l’électorat habituellement délaissée par la gauche. En ratissant dans le jardin du voisin, le politique vise des cibles hors du cœur de l’électorat. On ne sait jamais. Un procédé efficient, mais en veillant à ne pas déstabiliser votre électorat traditionnel.
Stratagème 15 : détourner l’attention
Autre marronnier des politiques : focaliser l’opinion sur un sujet pour détourner l’attention. Pour quiconque suit les textes votés par l’Assemblée nationale, il est toujours frappant de voir le nombre de lois adoptées dans la plus grande discrétion. Ce procédé est largement utilisé quand de grandes réformes structurelles sont en cours. Pour fixer l’agenda médiatique, les procédés sont nombreux : sondages, opération médiatique de tous ordres, sorties provocantes, focaliser sur la politique internationale, etc.
Stratagème 16 : Tendre un piège à l’adversaire
Pour ce stratagème, autant convoquer le maître de la stratégie, Vladimir Poutine. La Russie a de nombreux intérêts en Syrie, ce n’est un secret pour personne. Maître du temps, Poutine a largement préparé son intervention en deux temps. Premier temps, en 2013, alors que l’occident se pose la question de frapper en Syrie au motif de l’utilisation d’armes chimiques par Assad, Poutine appelle le régime syrien ami à placer sous contrôle international son arsenal chimique. Ce que Damas accepte rapidement. Soulagé, l’occident (enfin les Américains) reporte sine die le recours à la force en Syrie. De son côté, Poutine préserve son allié tout en permettant à l’occident de sauver la face. Temps 2, alors que les interventions alliées en Syrie sont des plus confuses et d’une relative efficacité contre les trois parties en faction, Poutine décide d’entrer en guerre en Syrie en y mettant les moyens. En scénarisant largement son entrée en guerre et les résultats obtenus, Poutine court-circuite de facto l’alliance occidentale en mettant en exergue son inefficacité face aux groupes terroristes et en renforçant d’autant sa stature de chef de guerre et la puissance de la Russie. En matière de communication, Poutine à largement piégé l’occident qui devra ou communiquer plus intensément sur la guerre, soit renforcer ses actions. Ce sera la seconde option. Dernier point, il a su ménager Bachar El Assad en lui laissant une issue de secours. Coup de maître et piège parfait. A l’identique de son action en Ukraine relatée ici.
Si ces techniques sont utilisées de longues dates par les politiques, le public est de moins en moins crédule. Influencer l’opinion alors qu’elle n’est pas dupe et se positionne dans une posture de défiance vis-à-vis des politiques demande de plus en plus de talent aux communicants et politiques. La tendance actuelle semble être, pour émerger, de susciter le buzz en utilisant l’outrance. Une attitude qui fait de l’hyperbole un levier systématique, mais quand l’attention se faire rare, les alternatives à cette tactique sont malheureusement rares. A l’esprit, l’audience préfère souvent le bruit.
Pour les longues soirées de novembre je vous propose le loto politique. Le premier qui a tout coché à gagné.
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