
Quel est le point commun entre Amazon, Netflix, Uber, Airbnb, Google, Instagram, ou encore Waze ? Facile. Ce sont toutes des entreprises exponentielles (ExO). De celles qui ont su tirer parti des nouvelles règles du marché en exploitant l’effet réseau et l’accélération associée à cet effet pour créer un modèle dit “disruptif”. Celles que l’on trouve aussi parfois sous la dénomination de “licornes”, terme créé par Aileen Lee en 2013.

Le point d’inflexion amené par ce nouveau paradigme suscite une angoisse, voire une peur palpable dans les entreprises, vivant dans une crainte implicite ou explicite de se faire “ubériser” selon les mots de Maurice Levy d’Havas. Et aucun secteur n’échappe à cette anxiété, même ceux qui semblent les plus solides. D’où cette frénésie des entreprises à “digitaliser” et tenter de résister aux futurs assauts des barbares, que ce soit dans l’assurance menacée par Google, tout comme la médecine, l’énergie, la banque etc. Une digitalisation qui peine à émerger comme le démontre la récente enquête menée par l’EBG, démontrant un réel retard et absence de vision globale des leaders sur ce mouvement. Pire, quand il a lieu, c’est sous la pression externe des clients ou de la concurrence, soit une réaction (ndr : de panique) plutôt qu’une proaction. Cette angoisse générale dans les organisations est largement nourrie par les centaines d’analyses sur ce phénomène de désintermédiation extrême et les injonctions à prendre le train d’un monde motorisé par l’information et les réseaux.
Toutefois, malgré la multiplicité des analyses et des points de vue, les entreprises manquent cruellement de manuel pragmatique et synthétique pour comprendre et négocier ce virage.
Pourquoi les nouvelles entreprises sont dix fois plus véloces, rapides, moins chères que la votre ?
Un ouvrage paru fin 2014 pallie cette carence : “Exponential Organizations: Why new organizations are ten times better, faster, and cheaper than yours (and what to do about it)” de Salim Ismail, un des fondateurs et directeur exécutif de l’université de la singularité.
Dans cet ouvrage lumineux de simplicité, Salim Ismail se livre dans un premier temps à l’analyse du phénomène de rupture amenée par les “organisations exponentielles” et leur capacité à convertir en avantage compétitif l’information disponible, en opposition aux organisations fondées sur l’ancien modèle linéaire. Dans la seconde partie, Salim Ismail détaille les différentes étapes pour créer une ExO.
Non sans donner la définition suivante d’une ExO :
“Une organisation exponentielle est celle dont l’impact (où les outputs) est comparativement 10 x supérieur à celle de ces pair grâce à l’utilisation de nouvelles techniques organisationnelles à même d’exploiter les technologies issue de la croissance exponentielle.”
La singularité : clef de voûte de la disruption
Directeur de l’université de la singularité, la matrice d’analyse de l’auteur se fonde logiquement sur l’opposition entre des structures linéaires et exponentielles. Le credo de l’université est désormais connu : “Alors que le monde basé sur l’information évolue exponentiellement, nos structures organisationnelles sont encore linéaires (spécifiquement les plus grandes entreprises).” Donc inadaptées.

Ce credo de l’exponentialisation a largement été théorisé par Ray Kurzweil, l’ingénieur en chef de Google et co-fondateur l’université de la singularité. Pour étayer cette théorie, Kurzweil s’appuie sur la fameuse loi de Moore établie en 1965 selon laquelle la puissance des processeurs double tous les 18 mois. Selon Kuzweil, l’accélération se fait aujourd’hui de manière hyper exponentielle par un effet permanent de rétroaction ( ce qu’il appelle la “loi du retour accéléré” en traduction littérale).
Le meilleur exemple souvent donnée par Kurzweil pour illustrer ce paradigme est celui de l’analyse du génome.
En 1990, le projet de séquencer le génome d’un humain est lancé. Les projections pour la réalisation complète de ce séquençage tablaient sur une durée de 15 ans et un coût de 6 milliards. Au bout de 7 ans, seul 1% du travail est réalisé, au grand désespoir des chercheurs. Pas de Kurzweil. Pour lui, à 1%, la moitié du chemin est déjà parcourue : en doublant chaque année, il restait alors moins de 8 ans pour atteindre les 100%. Le projet a abouti en 2001 alors que tous les experts, raisonnant en progression linéaire spéculaient au regard du temps passé pour atteindre les 1% sur une durée de 696 ans pour l’aboutissement du projet. Pour l’anecdote, l’analyse linéaire est pour l’auteur responsable des échecs à répétition des projections marché et analyse stratégiques réalisées par les grands cabinets, dont Gartner, Forrester, Mc Kinsey, BCG etc.

Bref, cette loi de Moore amendée s’applique aujourd’hui dans tous les champs technologiques nourris par l’information : intelligence artificielle, robotique, bio-tech, bio-informatique, médecine, neurosciences, data science, impression 3D, nanotechnologies et certains pans de l’énergie.Cette convergence, outre la création de start-up, donne aussi de nombreux espoirs aux transhumanistes de tout poil.
Concrètement, les entreprises pour être exponentielle devront s’appuyer sur cette loi, mais devra aussi répondre aux 6D définis par Peter Diamandis, autre co-fondateur de l’université de la singularité :
1) Digitalisation
2) Déception
3) Disruption
4) Dématérialisation,
5) Demonétisation
5) Démocratisation.
Les 6D expliqués par Peter Diamandis

Toute technologie qui devient Digitale connaît une période de croissance Décevante. Dans un premier temps, le croissance de 100% des chiffres réalisés (0,01, 0,02, 0,04) sont proches de zéro. Mais une fois le bas de la courbe atteint, soit 1, la factorisation joue pour vous. Vous êtes rapidement à un facteur 10 de 1000, qui double ensuite pour 1000 000 et 30 à 1 000 000 000 etc. Cette vélocité est le troisième D, “Disruptif”; une fois que cette technologie est devenue “Disruptive”, elle Dématérialise à l’instar du GPS et des appareils photos inclus dans votre smartphone. Une fois que cela se produit, le service fourni Démonétise à l’instar de Uber pour les taxi ou GraigList pour les petites annonces. Avec pour conséquence finale la Démocratisation du service.
Conclusion : “Quand vous basculez dans un environnement fondé sur l’information, le chemin du développement bascule dans une croissance exponentielle et le rapport prix/performance double tous les ans. Bientôt le coût de l’analyse du génome sera de 1 cent. Donc moins cher que de tirer la chasse d’eau.”
L’échec de la constellation Iridium, moment emblématique
Dans l’ouvrage les exemples abondent d’entreprises qui ont su tirer parti de cette factorisation, a contrario d’autres dont le modèle d’analyse les a mené à des ratages historiques, à l’instar de Motorola et son projet de constellation satellitaire Iridium, Kodak, ci-devant inventeur de l’appareil photo numérique avec le succès que l’on connait pour l’entreprise, ou encore de Nokia et son rachat malheureux de Navteq pour 8 Mds de dollars soit le prix de son rachat par Microsoft.
Le livre ExO fait d’ailleurs le parallèle entre Nokia qui a acquis une infrastructure physique lourde (capteurs etc.) pour proposer un service de circulation dans ses GPS et Waze qui a lui déporté toute l’infrastructure vers l’utilisateur et son smartphone. Face à la vélocité d’un Waze, Nokia ne pouvait pas lutter.
Le cas de Waze est emblématique et son succès pose les premières lois de l’entreprise exponentielle :
– Nokia a beaucoup dépensé pour posséder tandis que Waze a simple eu accès à l’information disponible auprès des utilisateurs.
–Accéder à des ressources que l’on ne possède pas, ici le GPS sur les smartphones des utilisateurs. A contrario de Nokia qui a beaucoup dépensé pour posséder là où Waze a simplement eu accès à l’information disponible auprès des utilisateurs.
– l’information est le meilleur capital. “la clé du succès est d’accéder à des informations existantes, mais dissimulées, et de les valoriser”
– Le coût marginal est de zéro
Fort de ces éléments , la bonne question à se poser selon l’auteur est bien celle de l’identification de nouveaux services fondés sur l’information et à coût marginal nul tel que décrite par Jéremy Rifkin dans son livre “la nouvelle société du cout marginal zéro”.
Toujours pour Selim Ismael, le maître mot de la vélocité exclut aussi de facto les grandes organisations dont la structure matricielle ralentit le cycle de décision. Pour survivre, leur seul choix est de croître pour augmenter autant que faire ce peut les économies d’échelles et maintenir sa capacité à produire au coût minimum et à la rentabilité maximum.
SCALE et IDEAS
Dans la poursuite de l’analyse de ces ExOs, Salim Ismael fait appel à 2 acronymes, reflétant les attributs externes et internes des ExOs.
SCALE pour :
Staff on-demand : dans un monde fondée sur l’information, de nombreux employés ne sont pas nécessaire, c’est contre-productif et cher.
Community and Crowd : la force de la multitude
Algorithms : big data – productivité, prévention, participation, personnalisation et prédiction
Leverage assets : soit l’externalisation et l’optimisation des biens matériels et immatériels, à l’instar par exemple d’Uber qui fait appel à des voitures sous employées pour bâtir son modèle économique.
Pour l’auteur, la non propriété est la clé du futur, sauf pour des ressources et biens rares. Exemple : le cloud AWS d’Amazon réalisé pour des opérations critiques.
Engagement : les individus connectés peuvent maintenant faire ce qui était auparavant réservé à des grandes entreprises centralisées.
IDEAS pour :
Interfaces : l’élément indispensable pour faire la passerelle entre interne et externe (ex : apple store)
Dashboard : mesures de la performance interne et externe
Expérimentation : l’itération permanente avec le droit à l’erreur
Autonomie : décentralisation, management plat, Holacratie. Soit le nouveau modèle d’autorité distribuée pratiqués par Medium, Zappos ou encore Valve Corp….
Social Technologies : accéder et traiter l’information avec une latence nulle (zero latency information), spécialement l’information client…
Au fil des pages, le développement associé a chaque lettre de l’acronyme dessine sous forme d’épigramme le modèle idéal de “l’organisation exponentielle”, de celle qui utilise chaque ressource à disposition pour exploiter à plein ce que lui offre le pouvoir de la multitude et de l’exponentialisation. Chaque item mériterait un long développement, ce sera le cas au fil des billets à venir. Mais la question à laquelle répond ce livre est bien la suivante, “et si je veux moi aussi profiter de l’économie du partage et devenir le nouveau Uber ?”
Comment créer le nouveau Uber ou une ExO
Mauvaise nouvelle, il n’y a pas de nouveau Uber possible. Dans l’univers concurrentiel façonné par les ExOs et autre licorne,l’effet réseau donne en effet l’avantage au premier entrant et à celui qui apprend le plus rapidement.Il n’y a pas (encore) de concurrent à Amazon, à EbaY, à Alibaba ou encore à Google.
La seconde partie du livre est très complète et fournit un framework relativement complet pour bâtir la nouvelle licorne. En synthèse, elle répond aux trois questions princeps à se poser en amont de la création :
- Quelle organisation pour maximiser la performance?
Quelle utilisation de la technologie pour créer un business model pérenne et un avantage compétitif.
Quelle gouvernance de l’entreprise par l’équipe
Le point crucial et discriminant est celui des fondateurs et de leur compétence et leur capacité d’éxécution. Si en France, l’investissement se fait sur un business plan et une idée, les investisseurs anglo-saxons auront plutôt tendance à investir sur des hommes.
Une fois les réponses trouvées, il reste à répondre à la question centrale, le fameux Why de Simon Sinek pour qui « Les gens n’achètent pas ce que vous faites, ils achètent une conviction partagée et sur une conviction. » (objet d’un ancien post) et identifier ce que l’auteur nomme le “Massive Transformation Purpose”, autrement dit la vision de l’entreprise.
Quelques exemples de MTP :
Ted : Ideas Woth Spreading
Google : “Organize the world’s information”
Quirky : “Make invention accessible”
X Prize Foundation : “Bring about radical breakthroughs for the benefit of humanity”
Singularity University : ” positively impact one billion people”
Ces “statements” aspirationnels serviront à la fois de guide, mais aussi de catalyseur de communauté.
Vous l’aurez compris, ce livre se veut être un “how-to” et ambitionne de mettre les lecteurs sur les bons rails pour bénéficier de la loi exponentielle appliquée aux entreprises. Au-delà, Exponential Organizations a surtout le mérite de synthétiser et expliquer le mouvement sociétal actuel lié au changement de paradigme amené par l’effet réseau et l’accélération globale que nous vivons et subissons. Le cahier des charges est rempli. Une fois le livre fermé, le lecteur sera à même de comprendre les mutations en cours et de décrypter les changement sociétaux associés.
Des changements qui, pour rejoindre Maurice Lévy, sont a des maints égards inquiétants d’un point vue social et sociétal. On le sait, les fameuses licornes sont guidées par une idéologie libertarienne capitaliste facile à résumer : chacun pour soi et personne pour tous. Les implications sociales et sociétales sont nombreuses et, malheureusement assez peu pensées, sinon avec une béatitude inquiétante ou à l’inverse avec une réaction épidermique à l’exemple de l’ire des taxis parisiens ce 25 juin.
En évoquant une nouvelle révolution industrielle avec l’avènement des réseaux, nous en avons aussi les mêmes effets, à savoir de nouveaux mouvements luddites ou autre révolte des canuts, – ces artisans destructeurs des machines à tisser inventées par Jacquard accusée de spolier les tondeurs et autres tisseurs. Malgré les néo-luddistes et canuts, le mouvement est lancé. Le comprendre permettra de mieux le penser et le négocier. Ce livre, entre quelques autres, le permet. Ci-dessous, le slideshare qui synthétise le livre. A méditer et/ou appliquer.
[…] complément à ce « vaccin », je vous invite à lire cet article fort intéressant sur la croissance exponentielle et les stratégies corporatives de Google, Uber et Amazon, entre […]