
Les réseaux sociaux, internes ou externes, signent-ils la fin de l’e-mail ? C’est une position largement majoritaire et défendue lors du Forum RSE le 9 juin dernier, par Arnaud Rayrole, le fondateur d’USEO. N’étant pas foncièrement d’accord, nous eûmes une riche et intéressante discussion sur le sujet.
Les arguments en faveur de la fin de l’e-mail sont connus et relancés par la déclaration en mars dernier de Thierry Breton concernant sa volonté d’éradiquer l’email interne, coupables selon lui d’une pollution de 5 à 20 heures par semaine du temps de ses collaborateurs chez Atos.
Donc, les arguments sont clairs en faveur de l’abandon de l’email.
- L’abondance de spams
- La perte de productivité liée à la consultation des e-mails inutiles
- Une gestion de l’infobèsité erratique
En contrepartie de l’abandon de l’e-mail les échanges se feront donc :
- via des murs sur les réseaux sociaux
- via les messageries instantanées
- via les DM de Twitter
- etc.
Et l’argument massue pour éradiquer l’e-mail en entreprise est que le réseau social d’entreprise fournit l’essentiel de l’information nécessaire et à valeur ajoutée. Modifiant dans la foulée les canaux de distribution de l’information, moins « top down », mais plus transversale est surtout, selon les droits d’accès assurée d’arriver à tous les destinataires, puisque présents sur le réseau social de l’entreprise.
Tout cela est cohérent jusqu’à un certain point. Pour Arnaud, la gestion de l’information sur les réseaux sociaux d’entreprise (RSE), se fera de manière similaire à la gestion de l’information sur Internet. Il a raison, un RSE n’est jamais qu’une réplique de l’Internet et de son modèle d’information distribuée en entreprise, avec son facebooklike, son twitterlike, sa base documentaire, ses profils enrichis, ses zones d’information froide (faq ou autre), tiède (veille remontée par chacun des collaborateurs) et chaude (missions en cours, business crm etc.). Nombre de RSE sont en effets une surcouche à l’Intranet.
Au final, le collaborateur d’une entreprise devra donc gérer l’information interne de manière similaire à la façon dont il la traite sur Internet. Ce qui ne poserait pas de problèmes s’il n’y avait :
- le temps réel induit par les twitterlike et la disparition progressive de la relation asynchrone au profit de la pression du temps réel.
- la multiplication des sollicitations rendues possibles par les RSE
Pour être plus clair : tout comme sur Internet, le collaborateur devra gérer l’infobésité avec cette appréhension sous-jacente de rater de l’information. Arnaud, a ici une position intéressante : peu importe si on rate de l’information, il n’est pas possible de rater l’information utile. Elle finit toujours par arriver à son destinataire. Il y aurait pour lui une sorte de surdétermination de l’information utile, un peu comme le nombre de retweet d’une bonne information. Si j’abonde sur ce point, il reste toutefois la question du signal faible et de la pertinence de l’information la plus véhiculée.
La bonne attitude pour naviguer au sein du RSE reste donc de ce point de vue, la même que sur Internet : la serendipité. Une navigation hasardeuse en favorisant l’hyperlien.
On touche ici un point délicat. La mise en œuvre de la serendipité induit un lâcher prise qu’il n’est peut-être pas évident d’avoir en entreprise. La tension envers l’information n’est pas la même dans les murs de l’entreprise et lors d’un surf internet pour le loisir.
Par ailleurs, une pratique professionnelle de gestion de l’information sur internet reste encore marginale et réservée à ceux qui ont la volonté de mettre en œuvre une vraie méthode de gestion de la connaissance (KM) et de veille. Bref, une pratique raisonnée, rationnelle et quasi professionnelle de gestion de l’information dans un univers dynamique. D’où la crainte d’une nouvelle fracture numérique, cette fois dans les murs de l’entreprise. D’où l’importance de l’accompagnement, non pas pour former à l’outil, comme le disait Tarik de Dassault Système, un outil collaboratif qui nécessite une formation est trop compliqué », mais pour apprendre à traiter l’information.
Sans compter de surcroît, le rapport politique à l’information dont la maîtrise ou non, conditionne quoi que l’on en dise, la relation à son univers professionnel.
Autre point pour l’abandon de l’e-mail. La gestion de projet a longtemps reposé sur l’email, outil de suivi des itérations et des incréments d’un projet. Si le RSE n’a pas cette vocation, la plupart emportent des outils pour créer des groupes projets. Le cas échéant, pléthore d’outils se substituent avec efficacité à l’e-mail, on peut citer Basecamp ou BackPack, deux excellents outils de 37signals dédiée à la gestion de projets entre autres nombreux services en SaaS, comme Hyper Office ou Attask entre dizaines d’autres. Un argument recevable pour l’abandon de l’e-mail.
Mais, à l’inverse d’un abandon de cet outil, je pense au contraire qu’il va se développer. Pour de simples et multiples raisons.
- Le-mail est le meilleur outil de notifications. Preuve en est twitter, en plus d’annoncer vos nouveaux followers par emails, notifie maintenant chacune de vos mentions par un tiers. Idem pour la plupart des réseaux sociaux, que ce soit linkedin, viadeo ou autre. Idem pour les RSE. Ce sont certes des emails à faible valeur ajoutée, mais ils multiplient d’autant le trafic dans votre bal.
- Suite logique de la première raison, notre vie digitale est fragmentée, atomisée, éparpillée façon puzzle. Le client de mail est le meilleur endroit pour consolider votre identité numérique, pro et perso.
- Le client de mail, reste de facto l’endroit où votre identité numérique est la plus cohérente, car fédérant justement tous vos univers d’interventions. Elle donne une vision globale de votre vie numérique et de sa mémoire.
- Quel que soit votre utilisation des réseaux sociaux internes ou externe, le plus souvent, l’e-mail reste le meilleur moyen d’archiver vos interventions, mais aussi de canaliser les flux d’informations. Que ce soit en utilisant des services tiers, ou en utilisant les flux rss. L’email est le lieu de mémoire numérique personnel le plus simple et le plus évident à utiliser.
- Au final, le mail reste le canal privilégié pour les échanges personnels privés.
- Dernier point peu évoqué, en cas d’arguties juridiques avec votre employeur, cette mémoire peut s’avérer utile J
Outil de notification donc, mais pas seulement.
Autre point qu’il faudrait largement développer, le passage aux RSE et la transversalité de l’information prônée demande une évidente modification de l’organisation, comme il a été dit lors de nombreuses interventions, la plus flagrante étant de passer d’un modèle d’organigramme à celui de sociogramme ; d’allier horizontal et vertical ; détruire les silos…bref passer à une entreprise 2.0 idéale et assumer sans entraves la logique de flux informationnels. Un changement amorcée par certains, mais qui pour la majorité prendra sans doute de nombreuses années.
Ce qui est intéressant dans cette discussion, au-delà de l’aspect technique, est que l’abandon ou non de ce moyen de communication comporte en creux toute la stratégie de changement d’un modèle d’organisation, qu’elle soit celle de l’entreprise, mais aussi de notre vie numérique. Une discussion des plus ouverte…
A lire aussi le compte-rendu par Fredéric Charles avec les principales interventions du forum RSE.
Hello Fabrice,
effectivement ce débat n’est pas prêt de se conclure ;). L’échange au #ForumRSE était intéressant et sympa. Pour completer et préciser mon point de vue, voici 2 billets écrits sur le sujet :
– http://blog.useo.net/2011/01/analyse-mails-tweets-conversations-lentreprise-est-au-milieu-du-gue/
– http://blog.useo.net/2010/11/mail-conversation-a-la-recherche-dune-convergence-necessaire-a-lentreprise-2-0/
A bientôt
Bonjour Arnaud,
Merci pour ta réaction. Effectivement, ce n’est pas tant un débat je pense, que l’évolution des organisations et des comportements à l’aune des nouvelles technos qui est en jeu. Nous avons la chance d’assister à une nouvelle évolution et les RSE sont une sorte de “tipping point”. A voir comment chacun négociera ce passage.
Bonjour,
Il a consensus sur le fait qu’il faut extraire de l’email tout un ensemble d’activités collaboratives qui sont bien mieux gérées par des Réseaux Sociaux d’Entreprise et des infrastructures collaboratives d’entreprise.
Néanmoins l’email conserve des caractéristiques (universalité, conservation et portabilité de son “patrimoine numérique personnel”, traçabilité) qui le rendent non remplaçable.
La solution ce n’est pas l’outil universel (avec le biais cognitif “quand on a un marteau, on voit tous ses problèmes comme des clous”), c’est de trouver la bonne articulation des différents outils qui entraînera la meilleure adoption des utilisateurs.
Pour plus de détails :
http://nicolasguillaume.typepad.fr/nicolas_guillaume/2011/05/la-fin-du-mail-dans-larchitecture-de-la-productivit-collaborative.html